Il était une fois Rahal Essoulami. L’histoire se raconte comme un conte et se termine bien. Le maître s’est éteint le dimanche 1er juin 2003 à l’aube, vers 4h du matin. Atteint d’une longue maladie, Rahal est décédé après une série d’hospitalisations au Maroc et en France.
Ambassadeur de l’art culinaire marocain, Maître traiteur depuis 1946 et traiteur officiel de la maison royale, le parcours de Rahal est une success story indéniable. Petit à petit, il a su se faire une place au soleil. Non sans une forte volonté, avec patience mais également avec un sens des affaires. Il n’était ni bien né ni instruit. Autodidacte, il a su s’enrichir de l’expérience de ses frères, trouver la “niche”. Il part en laissant un véritable empire que perpétueront ses enfants.

Patience

Né à Marrakech en 1932, Rahal rejoint ses frères à Casablanca à l’âge de 14 ans. Il n’a pas un sou en poche mais des idées et de l’ambition. Il commence dans les métiers de la pâtisserie, domaine dans lequel ses deux frères étaient déjà spécialisés. Il travaille dans leur échoppe pour 50 centimes la semaine. Des centimes qu’il économise patiemment.
Deux ans plus tard, il acquiert son propre magasin qui fait... un mètre carré !
Au cœur de l’ancien Bousbir, dans la vieille médina, cette échoppe était contiguë à un four. C’est là que cuisent les gâteaux que prépare Rahal.
Si Rahal était analphabète, il a cependant appris à écrire son nom pour le mettre sur les emballages de ses gâteaux. Avec ses plateaux de gâteaux sur les bras, il fait le tour de la Médina, de ses ruelles et de ses cinémas. Très vite, il se fait un nom. Puis c’est le deuxième magasin, à quelques mètres du premier. Ce magasin n’offre pas seulement une variété de gâteaux, dont de la Chebbakia pendant le Ramadan, mais aussi des articles de toute sorte suivant les saisons et les occasions. Ainsi, après l’eïd el kébir, il rachète les intestins qu’il revend dix fois leur prix aux Français qui les exportent. Il récupère les cornes de moutons pour en faire des peignes à Marrakech. Il rachète également les peaux qui serviront à fabriquer des tamtams et tâarejs, que Rahal vend pendant Achoura. Rien ne lui échappe. Pas même les noyaux d’abricots qu’il rachète et revend à une usine de colle.
Rahal aspire à plus. Il lorgne vers la Foire internationale de Casablanca. La foire abritait des manifestations sportives qui attiraient grand monde. Il se trouve un emplacement dans la hall et propose des sandwichs et limonades. Tant et si bien qu’il s’installera avec sa famille dans les locaux mêmes de la Foire. En 1956, il y crée son premier restaurant marocain. Un succès total. Rahal accompagne ensuite divers événements : tournois de golf, cirques. C’est ainsi que Maître Rahal devient traiteur. Une première au Maroc. Il apportait la qualité des cuisinières traditionnelle avec une touche personnelle, un savoir-faire certain.

Révolution

Dans la vieille médina, une superbe maison qui appartenait au Pacha lui donne l’idée d’organiser des fêtes et de tout prendre en charge, de A à Z. Le rez-de-chaussée sera ainsi transformé en salle de fête tandis que la famille Rahal occupait l’étage. Une véritable révolution. Les plus grandes familles de notables y ont célébré d’heureux événements. Dès lors, le nom de Rahal s’est retrouvé lié aux mariages et autres fêtes. On s’enorgueillissait de lui confier les préparatifs : de la tente jusqu’aux boissons en passant par les plats et les gâteaux.
Rahal se bâtit ainsi une réputation nationale. Même l’État sollicite ses services pour différentes occasions : sommets, réceptions officielles, fêtes…
La famille Rahal n’oubliera jamais lorsqu’un soir, elle reçoit un coup de fil du palais royal, lui donnant rendez-vous avec feu SM Hassan II. Le Souverain reçoit Rahal et son fils aîné. Il leur demande de restructurer l’entreprise de manière à ce qu’elle soit plus moderne. Menzeh Diafa est née. Rahal se charge des grandes cérémonies officielles et autres congrès.
Rahal devient cet ambassadeur gastronomique qui fait découvrir aux personnalités étrangères une facette de la culture marocaine. Rahal ne s’est pas réduit aux activités nationales. Des personnalités étrangères ont fait appel au professionnalisme de son équipe. Ainsi, Menzeh Diafa a assuré le mariage du président du Gabon, Omar Bongo. On l’a également retrouvé lors de l’anniversaire du milliardaire Henry Forbes, lors du sommet du GATT à Marrakech et à d’autres occasions. Il a même ouvert, il y a quelques années, le restaurant Médina, au cœur de Casablanca.
Le groupe Rahal Maîtres Traiteurs regroupe quatre entreprise et emploie plus de 800 personnes. Il couvre cinq secteurs d’activité et brasse un chiffre d’affaires annuel de 40 millions de dirhams. Rahal a été imité par plusieurs autres traiteurs, venus par la suite. Mais il a su conserver sa place à part.
Rahal était père de sept enfants, dont une seule fille: Abdelkarim, Mustapha, Mohamed, Abdelwahed, Youssef, Kamal et Fatiha. Ils ont tous suivi une éducation exemplaire. « Nous avons fait nos études à l’étranger, acquis de l’expérience mais il était notre école. Nous avons appris avec lui plus qu’avec n’importe qui » raconte l’un de ses enfants. A part un de ses fils qui a choisi d’être magistrat, tous les Rahal Juniors travaillent dans l’entreprise familiale, chacun s’occupant d’un aspect.
Malgré sa fortune, on dit qu’il a conservé une attitude modeste et populaire. C’était un bourreau de travail, “qui ne prenait jamais de vacances, ne pensait jamais à voyager et qui trouvait son repos dans le travail” le décrit son fils. Mais c’était un père dévoué, généreux et très présent. Il est devenu une figure de proue de l’ancienne médina. On en parle comme d’un modèle. Un modèle qui doit sa réussite à son seul travail. Adieu, “M’âallem”.